Le jouet buissonnier : naturel, gratuit et stimulant !
Mon frère et moi avons été, voici une soixantaine d’années, parmi les derniers pâtous du pays gallo : le jeudi et pendant les vacances scolaires, notre travail à la ferme de nos parents consistait entre autres à surveiller les vaches au champ.
« Fais bien attention à tes vaches. Ne les laisse pas aller dans les choux de Théophile ou dans le trèfle de Francis. »
Nous passions fidèlement la consigne à notre chien (Mufti et plus tard Motard). Et nous pouvions ainsi, l’esprit plus libre, vaquer à d’autres occupations… plus divertissantes.
C’est dans ces prés du « Pont-de-Roche » que nous emmenions parfois nos vaches en empruntant un chemin creux. C’était avant que l’on procède au remembrement des terres : les talus du bocage étaient bien plus nombreux et offraient alors une grande variété d’arbres, arbustes, fougères, herbes, joncs et bruyères, etc.
« You-ou-ou-ou-ou-ou-ou-ou-ou ? »
Lancer ce cri — nous disions « youper » — était notre façon d’interroger les environs. Par chance, certains jours d’autres pâtous nous répondaient et nous nous retrouvions alors près du ruisseau qui séparait nos prés.
La construction d’un barrage sur le ruisseau pouvait nous occuper une partie de l’après-midi. Mais notre objectif final était d’y faire naviguer… un nouveau Normandie. Nous nous réservions donc du temps pour la construction de bateaux qui y flotteraient et deviendraient pour nous de fiers paquebots affrontant un Atlantique tumultueux…
Nous faisions alors appel au couteau que nous avions toujours en poche et aux ressources de notre musette : bouts de ficelle et de fil de fer, bobines de fil, pinces et autres petits outils discrètement empruntés à notre père, boîte d’allumettes en hiver.
C’est ainsi que, l’imagination guidant nos mains, l’écorce de pin se transformait en bateau, le sac d’engrais vide abandonné au coin d’un champ devenait cerf-volant, la caissette de bois laissée par le couvreur jouait au téléphérique, suspendue à une longue ficelle tendue d’un arbre à l’autre. Les arcs, les cabanes, les moulins à eau, les tchifouettes — ancêtres des pistolets à eau —, la construction de fours et la cuisson de pommes en hiver… étaient aussi parmi nos occupations champêtres.
Ce vénérable livre mérite ici une mention spéciale. Il faisait bien souvent l’escapade aux champs, caché dans la musette. (Nos parents craignaient en effet que nous l’abimions.)
Cet exemplaire à la couverture raccommodée et aux feuilles jaunies commençait à la page 7 et s’arrêtait sans prévenir en plein milieu de phrase à la page 304. Il avait été l’unique livre scolaire de notre père dans les toutes dernières années du XIXe siècle : à la fois manuel de lecture, d’histoire, de géographie, d’éducation civique, d’astronomie, de botanique, de zoologie, de sciences physiques, de secourisme, d’éducation artistique, d’initiation professionnelle, etc.
Que de choses nous y avons apprises de Duguesclin et Ambroise Paré à La Pérouse et à l’ingénieur Riquet en passant par les forges du Creusot, les magnaneries du Dauphiné, les arènes de Nîmes ou encore l’artisanat horloger du Jura.
« Le tour de France par deux enfants »
p. 241